top of page

Au milieu de l'océan il y avait un archipel. Des îles, les unes à la suite des autres, si belles et si majestueuses que lorsque les dieux les observaient, ils en versaient des larmes. Elles étaient des joyaux, sertis à un collier magnifique, des pierres brutes, à peine taillées, aux mille reflets. Les eaux autour, dans un turquoise étincelant, recelaient d'une vie merveilleuse. On ne trouvait à la surface que des plantes généreuses, aux fruits sucrés, des racines nourrissantes, des animaux sauvages dans un équilibre parfait. Et au milieu de ce paradis encerclé d'eau, une race d'être doués de parole, d'intelligence, les Ascundës.

 

Ils vivaient de la pêche, de la chasse et de la cueillette dans des villes superbes, érigées sur les hautes montagnes des Larmes. Il était aisé pour eux de descendre et de monter, leurs puissantes jambes, leurs cornes, et l'ensemble de leur anatomie leur permettant une vie idéale dans les contrées escarpées des Larmes. Les cités des Ascundës avaient une structure assez simple, souvent une unique tour, dans laquelle tout était rassemblé. Les commerces, les centres d'éducation, les lieux d'habitation, et de divertissement.

Et à cette époque, dans l'aire présolienne, aire si lointaine qu'il n'en reste plus aucune trace, non plus aucune, sauf ce récit, les Luzes couraient encore à la surface de notre monde. Elles vivaient, libres, sans contraintes, et erraient au dessus des océans, dans les marécages et sur les plaines de Méridian. Les Luzes, sources de la magie de notre monde, donnaient à la nuit un clair-obscur permanent, une lueur ambiante, et elles aimaient particulièrement flotter au fil de l'eau. Les rivières, les océans devenaient le siège d'un spectacle incroyable, toutes les nuits où ces bulles phosphorescentes dérivaient au gré des vagues.

 

Les Ascundës avaient comprit l'utilité de ces petites étincelles ni vraiment vivantes, ni mortes. Ils les installaient dans leurs maisons, sur leurs étagères, dans leurs poches, ils en avaient toujours autour d'eux. Et lorsque l'un des leurs mourrait, les Luzes venaient toujours se poser sur le cadavre, pour l'envelopper. Alors les Ascundës rendaient aux Luzes le corps du défunt en le laissant à la mer, là où elles étaient les plus nombreuses.

Que la vie était douce, qu'elle était paisible et facile. Ils pouvaient user du pouvoir de la magie, pour créer, obtenir des illusions, faire apparaître des objets, éphémères, car la Luze reprenait toujours après un temps ces créations faites de son propre fluide. Ils modelaient leur environnement grâce aux bulles et auraient pu poursuivre ainsi des millénaires durant...

 

Mais avec l'intelligence, la maitrise de nouvelles choses, l'être devient trop curieux, trop gourmand, et n'arrive pas à se contenter de ce qu'il a en sa possession. Les Ascundës à l'époque n'avaient qu'un roi, un unique roi, qui possédait trois filles. La première était muette, la seconde sourde et la dernière aveugle. Le roi pleurait les malheurs de ses filles et le peuple entier regrettait ce destin qui s'abattait sur la famille royale. Un jour il se décida à aller, dans la nuit, avec sa première fille au bord de l'eau pour demander de l'aide. Et une créature des océans fit son apparition. Elle était aussi claire que la lune, à peine plus grande qu'une enfant, et avait les formes douces d'une femme Ascundë. Elle ne possédait pourtant qu'une enveloppe lisse, comme si son corps n'était fait que d'une peau pâle, sans véritable relief. Elle répondit alors à la requête de l'homme et rendit la voix à sa première fille. Il n'en connaissait pas le prix et ne le demanda pas, trop heureux d'entendre le doux son de la voix de son aînée.

Le miracle fut accueilli par le peuple avec une merveilleuse fête et suite à cela, nombreux furent ceux qui demandèrent à l'esprit de l'eau d'exaucer des miracles. Et bon nombre le furent.


 

Vint le tour de la troisième de ses filles qui refusa catégoriquement l'aide de son père. Elle ne voyait pas à cause de sa cécité, mais elle avait développé d'autres sens et elle percevait le monde qui l'entourait. Elle ressentait l'énergie des Larmes, la force des Luzes, et aussi leur courroux. Elle tenta de prévenir son père, plusieurs fois, qu'il ne devait pas demander aux Luzes ce qu'elles ne pouvaient offrir. Et lui, sourd à ses conseils, lui serina qu'il s'agissait d'un esprit de l'eau, une autre entité que les Luzes car elle pouvait faire des miracles.

Là où les Luzes ne faisaient que faire pousser des fruits, apparaître des papillons lumineux, créer des décorations esthétiques dans les maisons, l'esprit de l'eau lui guérissait des pires maux.

 

La jeune princesse essaya alors de prévenir ses sœurs, puis ses proches, et enfin son peuple. Tous restaient de marbre à ses avertissements. Alors une nuit, elle alla au bord de l'eau, sur la plage où son père avait obtenu tant de miracles et elle pria cet esprit de l'eau.

Pour l'aveugle, celui ci ne prit pas la peine de choisir une forme agréable à l’œil, d'autant que la princesse percevait.

Oui, elle percevait.

Là où son père, ses sœurs, les autres Ascundës de ce monde ne voyaient qu'une petite femme à la peau parme, aux yeux vides, aux cheveux blancs et aux jolies cornes enroulées, la princesse ressentait un monstre terrifiant, aussi haut que la montagne, et réunissant en son sein autant de Luzes qu'il existait d'âme d'Ascundës. Alors elle fondit en larmes, de lourdes et grosses larmes qui coulèrent toute la nuit sur ses joues, alors que ses yeux blancs suppliaient en silence le ciel de lui venir en aide.

 

Pour la première fois la voix du monstre se mit à retentir pour quelqu'un et ne lui murmura que cet unique mot : « Pars ».

La princesse rebroussa chemin, remontant seule et terrifiée au château, où elle tenta une dernière fois de prévenir son père. Mais rien n'y fit. Le lendemain, avec le maigre pécule qu'elle possédait, elle acheta une barque, de quoi se nourrir et deux outres vides. Accompagnée par les Luzes, elle alla au ruisseau remplir les gourdes d'eau claire. Dans chacune d'elles, une des petites bulles lumineuses s'infiltra sans que la princesse ne s'en rende compte.

Lorsqu'elle revint, un pincement dans son cœur lui hurla d'aller chercher les siens, mais elle savait pertinemment que c'était inutile. Alors elle posa un pied, puis l'autre dans la barque, donnant un élan pour s'éloigner de la rive et errer, dans le noir, au loin des côtes de ce monde qu'elle avait tant aimé. La magie de Méridian l'enveloppa alors que sous ses yeux aveugles le plus terrible des spectacles allait se dérouler.

 

Le roi revint demander de l'aide à l'esprit de l'eau. Il avait une idée en tête depuis longtemps et lorsque la femme apparut enfin, il ne se fendit ni d'un bonjour, ni d'une révérence, rien. Elle était l'esclave de son insatiable soif de pouvoir. Et il prononça les mots qui allaient précipiter les Ascundës dans une fin tragique.

« Donne moi le plus grand royaume de Méridian ! »

Alors l'esprit de l'eau changea, se transforma. Il recouvra une forme terrifiante, d'un monstre marin qui creusa la mer sous sa carcasse. La terre trembla, et les Larmes doucement commencèrent à sombrer. Les îles se mirent à glisser vers les abysses alors que les yeux de la créature, aussi blancs que pouvait l'être la lune, fixaient le roi avide et toujours insatisfait.

« Le fond des océans, si vaste, sera désormais ton territoire, et les tiens, en un cycle sans fin, y seront éternellement rendus. »

Ainsi, en trois jours, il ne resta plus rien des Larmes, que quelques navires avec à leur bord les derniers survivants Ascundës. Ainsi la malédiction fut jetée sur la race cornue, de se réincarner, de vie en vie, et de devoir toujours rendre leurs dépouilles à l'océan qui les avait maudits. Ainsi, ils donnèrent à cet esprit de l'eau, avec le temps, le nom de Naskostha, à moins que ce ne soit le nom de la princesse qui avait tenté de prévenir tout le monde. Là l'histoire n'est plus bien claire... Mais la princesse a survécu, grâce aux Luzes enfermées dans ses outres, rendant son eau intarissable.

 

Depuis, les Luzes se sont perdues, optant pour le calme des profondeurs au tumulte de la surface. Et dans les vestiges de l'archipel englouti des Larmes, le monstre erre toujours et les âmes des Ascundës noyés se sont transformées au fil des âges en créatures sous marines aveugles, sourdes et muettes.

©2018 Avelhia

Larmes 4.png

Le roi retourna après plus d'une année, avec sa seconde fille pour demander de rendre l'ouïe à la jeune femme. L'esprit de l'eau réapparut et sortit de son océan cette fois, pour marcher sur la plage où était le roi et la princesse. Elle avait de longs cheveux brillants dans la nuit, comme si une infinité de Luze la constituait. Et elle plaça ses mains sur les oreilles de l'enfant. Aussitôt, elle entendit le bruit des ressacs, crépitement constant, et explosa en larmes de joie. Sa propre voix aussi la choqua, et elle commença à vocaliser, heureuse d'enfin connaître un monde qu'elle n'avait encore jamais perçu.

Là aussi le royaume fut en liesse pour célébrer la princesse, le roi, et le miracle de l'esprit de l'eau.

L'engloutissement des

Larmes

© 2018 Le Domaine par Avelhia

bottom of page