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Journal de la Vierge de Xir


Capitaine Neil Leeshan, 58ème jour.

La mer est déchainée, cela commence à faire longtemps que nous avons quitté les côtes de Meqvren, je ne pensais pas que la route serait si longue. Le temps n'a pas été très clément, il faut le dire, mais nous approchons enfin, je le sens. La terre du Domaine n'est plus loin et ma cargaison d'épices et d'esclaves va enfin porter ses fruits... Les Ascundës se sont pourtant réfugiés dans la cale, ces incapables. Je ne comprends pas pourquoi un petit orage les effraie tant. Pleutres ! Pour ces cornus qui se prétendent les enfants même de l'océan, trembler des genoux face à un simple orage, en voilà une belle manière de montrer sa fierté. Qu'ils honorent leur déesse en se conchiant pour un éclair, j'aurais mieux fait de recruter des emplumés !

 

Capitaine Neil Leeshan, 63ème jour.

Cinq journées pleines que la pluie ne cesse pas, nous avons choqué toutes les voiles, et nous ne naviguons pour le moment qu'avec la voilure minimum... Nous n'avançons pas d'un pouce, il semble presque que nous reculons... Je ne saurais trop dire, l'étendue d'eau est interminable, et les étoiles ne se montrent pas. Impossible de savoir où nous sommes, sans repères, impossible... Et les vivres vont venir à manquer si nous ne trouvons pas rapidement le Domaine.

 

Capitaine Neil Leeshan, 64ème jour.

Rien de nouveau, de la poupe à la proue la Vierge de Xir craque, et hurle sa souffrance. Nous avons perdu deux des cinq mats, et je soupçonne que le gouvernail se soit abîmé avec la violence des vagues. Veleyn nous vienne en aide.

 

Capitaine Neil Leeshan, 66ème jour.

J'ai libéré les esclaves, ils vont aider à maintenir le bateau à flot, je ne maitrise plus rien. Deux des Ascundës se sont jetés à la mer, hurlant qu'ils demandaient pardon à Naskostha, je ne sais ni pourquoi, ni comment leur déesse peut répondre à leurs appels. J'ai prié Veleyn toute la journée. Je pense que nous sommes perdus, et que nos dieux nous ont abandonnés.

 

Capitaine Neil Leeshan, 70ème jour.

Ces derniers jours, je suis resté avec mes hommes, nous avons partagé les derniers vivres et les dernières gouttes de rhum. Ça l'eau nous n'en manquons pas... Et je pense que cette pluie rallonge simplement l'heure de notre fin. Nous avons tous accepté notre sort. J'ai cru voir des voiles dans la brume, mais je pense que c'était un mirage, et elles faisaient le machines arrières... impossible.

J'ai faim mais je sens mieux, apaisé, au calme. Ici dans ma cabine, j'apprécie le silence enfin un peu, je pense que...

Le silence ?

 

Capitaine Neil Leeshan, 71ème jour.

Le calme, le calme est revenu sur l'océan. Hier en fin de journée, les orages se sont dissipés enfin et nous avons pu voir ce qui se passait devant nous, et l'état de notre navire. La Vierge est usée, fendue par endroit mais elle a tenu. Et nous devinons une terre.

AH ! La vigie vient d'hurler, Shaarta, c'est Shaarta ! Nous y sommes, nous y sommes ! Veleyn soit louée ! Je remonte.

...

Shaarta est bien en vue mais une lumière étrange s'en dégage, elle est verdâtre, comme si une aura entourait la ville et l'enfermait dans une bulle... Je savais qu'une magie se tenait dans la cité des Nomades mais je ne pensais pas qu'elle prendrait un jour cette forme. Nous devons nous approcher pour en savoir plus.

 

Capitaine Neil Leeshan, 71ème nuit.

Un homme est venu me parler et je vais devoir tout écrire ici car il est certain que nous sommes perdus. Je veux que ce journal aille à ma femme, et mes deux filles, qu'elles sachent que leur père les a aimé jusqu'à la dernière seconde et que je veillerais sur elles même dans la mort.

Je veux que tout mon équipage soit traité avec le respect qui lui est dû, et je veux que personne ne doute de ce que je vais coucher sur le papier maintenant.

 

La magie de Méridian prend sa source dans la terre m'a dit l'homme, et cette terre se doit d'être protégée dans son équilibre aussi fragile soit il. Shaarta est la cité des mages, des savoirs et des sciences occultes. L'homme m'a parlé des nécromanciens à l’œuvre dans les catacombes de la ville colorée, des mages du sang qui jouaient avec la vie des autres, mais pas seulement. Il m'a parlé de la perversion des créatures des bois de Cocon, et aussi de la façon insatiable qu'avaient les habitants de la cité de puiser sans cesse. Et il m'a parlé des Tisseuses. J'ignorais leur existence, je savais les bois de Cocon dangereux mais j'ignorais que... là n'est pas la question. Il m'a confié qu'il avait fait une erreur, une terrible erreur. Qu'il avait brulé les arbres, rompu le lien entre Shaarta et Cocon et que... Je ne suis pas bien sûr d'avoir absolument tout compris.

Il a parlé des énergies magiques et que des humains tentaient de contenir ce qu'il restait de magie à Shaarta. Mais dans la cité, tout passe par les fluides des énergies de notre monde. Jusqu'à la nourriture qui pousse sur la pierre, les animaux dressés par des magies d'emprises, des illusions qui font de Shaarta une ville bien plus majestueuse qu'elle ne l'est vraiment.

Il m'a dit qu'en brisant le lien avec l'ancienne forêt, il avait sans le vouloir écourté la vie de Shaarta. Comme si un barrage séparait un delta de la source du fleuve. La magie s'est accumulée à la frontière, accumulée, tant et si bien qu'elle a simplement... Dégueulé. Elle s'est échappée dans une monstrueuse boule verte, meurtrière, dévastant toutes les âmes sur son passage. Animaux, plantes, Hommes, Nokks, tous, sans distinction.

Comment savait-il cela, il est juste apparu devant moi, me confiant qu'il avait usé d'une magie ancienne, que lui seul maitrisait encore, dont je n'ai absolument rien compris. Il m'a dit qu'elle disparaitrait avec lui. Il m'a dit aussi que l'énergie destructrice arrivait jusqu'à nous et qu'aucun vent ne pourrait nous permettre de partir. Qu'il était trop tard, que nous allions être fauchés. Les autres navires avaient réussi à fuir, car dans l'océan il est connu que la magie n'a pas de prise mais là... nous sommes trop près. Tout ce que nous pouvons laisser c'est le témoignage de cette histoire, en espérant que la Vierge trouvera quelqu'un à qui délivrer notre testament.

La vigie hurle je n'ai plus le temps.

Anne, je t'aime, Viona, Austra, rendez moi fier, votre Papa veillera sur vous.

 

 

 

 

Ce journal a réussi à atteindre les côtes d'Héritage, grâce à ce navire sans capitaine et sans équipage. Enfin si, l'équipage était toujours là, mais il n'en restait que les os que la mer avait déjà commencé à ronger. Il est à l'heure actuelle le seul et unique témoignage de la fin soudaine et incompréhensible de Shaarta. Et il fait polémique. Beaucoup doutent de la véracité des dires du Capitaine Leeshan, connu pour son amour de la boisson et ses coucheries adultérines. Mais aucun autre récit ne relate et ne peut expliquer ce destin si tragique.

Des années durant, tous ceux qui s'approchèrent trop près de Shaarta moururent abruptement en laissant des flottes entières à la dérive. Personne depuis n'a remis un pied dans les murs de la cité. Nul ne sait ce qu'il en reste, si la vie est revenue ou non. Tout ce que l'on peut voir de loin, c'est un morceau de lande désertique sur laquelle trônent encore les hautes tours de la cité des mages, des nomades et des sorciers de tous bords. Aucune, absolument et strictement aucune expédition conduite pour tenter de ramener les livres, richesses, denrées de la cité n'est rentrée.

©2018 Avelhia

Le journal du Capitaine

Leeshan

© 2018 Le Domaine par Avelhia

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