




C'est l'histoire de Donatien, fils aîné du roi d'Edmarian, un prince promis au trône. Il était grand, d'un blond aussi clair que les blés, les yeux bleu-gris, changeants avec la couleur du ciel, les traits droits, puissants, et un corps sculpté par les années d’entraînement aux arts de la guerre. Donatien faisait rêver toutes les femmes et les hommes de la grande ville du Domaine, ainsi que tous les voyageurs de passage sur les terres. Il tardait à prendre femme pour régner avec lui sur le royaume de son père. Alors tous les mois s'organisaient des bals pour tenter de trouver celle qui ferait fondre le cœur du beau prince.
La somptuosité de ces événements était célèbre de part le monde et au delà de celui ci. On venait de tout Méridian pour épouser celui qu'on appelait le Prince d'Edmarian. Mais de toutes ces femmes et ces hommes, se pressant sur la piste de danse, aucun ne réussit à séduire l'homme. Il était aussi froid et dur qu'il était beau. Son cœur aussi sec que la pierre, et ses sentiments étouffés au plus profond de sa poitrine ne laissaient aucune place à la faiblesse, à l'amour.
Alors on essaya d'autres moyens, des bals masqués pour que l'homme ne soit pas reconnaissable et que l'on ne s’intéresse qu'à ses qualités de danseur ou sa conversation, mais là aussi en vain. Car même derrière un masque, les plus agréables des jeunes femmes restaient d'une fadeur extrême au goût du jeune homme.
Ce fut un jour, alors qu'il patrouillait en ville avec ses camarades de la garde, ses cheveux blonds dissimulés sous son casque de métal, ses yeux bleus à peine perceptibles dans la visière, qu'il la remarqua... Elle, la grande brune à la peau d'albâtre, aux courbes ensorcelantes, à la chevelure ondulante, comme une intarissable cascade aux reflets auburn tombant dans des reins accueillants. A sa tenue il devina vite qu'elle n'était qu'une nomade, une danseuse, une de ces saltimbanques de passage dans la ville, ou pis... Une fille de joie. Et lorsqu'il chercha à s'approcher d'elle, elle eut une réaction qu'aucune n'avait jamais eu avant. Elle remarqua l'insigne sur sa poitrine, gravé dans le métal de l'armure, la royauté d'Edmarian, et elle lui adressa un sourire, une révérence avant de disparaître dans les ruelles escarpées de la cité, sans dire le moindre mot.
Donatien ne chercha pas à la poursuivre, à quoi bon, une fille de joie... Aussi tenta t-il de se convaincre qu'elle n'en valait pas la peine.
Pendant plusieurs mois la danseuse le hanta, la nuit, le jour, il croyait la voir dans toutes les fêtes mais elle disparaissait aussitôt, elle troublait son sommeil. Depuis il s'était imaginé sa voix, son rire, ses grands yeux verts, et des détails jusqu'au grain de beauté sur sa pommette, la cicatrice sur sa lèvre inférieure, la couleur de ses seins, le toucher de sa peau, la volupté de ses fesses et l'odeur de son con. Plus le temps passait et plus elle devenait claire et réelle dans son esprit alors qu'il ne l'avait que croisée, fugace, envoûtante, un fantôme d'un érotisme surnaturel.
Il tenta bien de séduire d'autres femmes. Désormais l'image de son fantasme était si claire, qu'il embrassait les lèvres d'une autre en tentant de se convaincre que c'était celles de l'inconnue... L'artifice marcha un temps, jusqu'à conduire une belle dans sa couche, et donner à son père l'espoir qu'il allait l'épouser. Oui cette promise était belle, elle avait de la conversation, un rire discret mais avenant, de l'éducation mais... elle n'était pas l'inconnue de la ruelle.
Une semaine avant leur mariage, Donatien retourna sur les pavés de la cité, habillé seulement d'une tenue de lin et de cuir, aucune armure, ses cheveux retenu dans un chignon. Il n'avait rien de reluisant, n'évoquait pas le prince qui allait prendre épouse dans une somptueuse cérémonie mais il gardait un espoir.
Une voix s'éleva d'une ruelle, un chant lancinant, dans une langue qu'il ne comprenait pas. Était-ce du Fern ? De l'Ascundë ancien peut être ? Ou une langue des Royaumes humains qu'il ne connaissait pas ? Mais elle l'attirait, par delà l'allée de pierre, entre les murs. Elle semblait si proche et si lointaine à la fois mais il était sûr... C'était elle.
Sans même se rendre compte il se mit à courir à travers sa propre ville, s'enfonçant dans le dédale, toujours plus loin à mesure que la nuit tombait et que la foule s'amenuisait. Jusqu'à ce qu'il n'aie plus pour compagnon que la Lune au plus haut du ciel, l'astre d'un blanc laiteux, aussi clair et parfait que la peau de la belle, aussi rond et sans défaut que ses fesses dans les voiles pourpres qu'elle portait ce jour là.
Et elle apparut, assise sur les marches de la ville, à l'entrée principale de celle ci. Elle tournait le dos aux constructions et ses yeux semblaient perdus dans les bois d'Abîmes au devant d'elle. Donatien s'approcha et elle ne bougea pas d'un pouce, continuant de lancer ses notes aux ciel étoilé. Il allait dire quelque chose, lui demander son nom, qui elle pouvait être, pourquoi l'avoir ensorcelé lui. Mais les mots s'étranglèrent dans sa gorge quand elle se redressa. Comme le premier jour, ses cheveux étaient épais, lourds et tombant dans le creux de ses reins. Ses hanches généreuses, callipyge, elle ne portait sur la peau qu'une robe d'un voile presque transparent, si bien qu'il devinait la pointe brune de ses seins et la noire toison à la lumière blafarde de la Lune. Elle était en tous points semblable à celle qu'il avait dans son esprit, et quand il ne fut enfin qu'à un pas d'elle, il crut s'effondrer. La cicatrice, le grain de beauté, rien ne manquait, elle était étourdissante de perfection. Il voulu là aussi parler mais elle posa son index en travers des lèvres du prince pour lui interdire d'ouvrir la bouche. Elle glissa sa main dans la sienne et l'entraîna vers les bois.
A l'orée d'Abîmes un cheval les attendait, et Donatien lui trouva une ressemblance avec cette femme. La crinière brune, les yeux clairs, la puissance derrière la beauté. Il sauta sur son dos et tendit sa main pour aider la belle à monter. Elle se glissa derrière lui et lui souffla dans l'oreille « Partons. » Ce mot arracha un frisson au prince, une longue décharge suivant sa colonne jusqu'à lui dresser les cheveux dans la nuque. Il talonna et s'enfonça dans les bois.
A l'époque Abîmes était moins hostile qu'elle ne l'est maintenant et ils pouvaient sereinement s'éloigner des remparts d'Edmarian sans craindre de se faire dévorer par quelque créature surnaturelle. Il était heureux, plus qu'heureux même, il était excité par cette rencontre, cette bravade, cet interdit soudain violé. Il s'échappait et plus Edmarian disparaissait dans son dos, plus les lumières de la cité s'estompaient, plus les broussailles se densifiaient, et plus il sentait son cœur se remplir d'un miel ardent.
Ils arrivèrent aux abords du lac Enelyan, Donatien n'y avait encore jamais posé les pieds. Il calma le pas de la monture, jusqu'à l'arrêter auprès d'une des berges du lac. Là, il descendit en premier et vint aider la belle à glisser ses orteils nus sur la terre humide. L'instant fut suspendu pour le prince. Elle se coula le long de son corps, la fine robe de voile remontant sur sa poitrine, et ses cuisses alors qu'il pouvait percevoir la chaleur de ce corps depuis si longtemps idéalisé et désiré. Il ne résista pas et l'embrassa avec toute la fougue et la passion dont il était capable. Ses doigts s'enfoncèrent dans les hanches girondes de la belle brune, alors que son autre main s’emmêla dans sa chevelure. Il la tint serrée contre lui, cherchant à épouser toutes les courbes de son corps.
Après cet intense baiser, elle s'éloigna de lui en lui intimant de se taire et marcha jusqu'aux eaux du lac qui, à cette heure tardive, étaient noires, avec juste le cercle blanc de la lune brisé par les remous. Elle retira sa robe, et se dévoila totalement nue face à lui et dos au lac. Une sorte de mélopée monta dans les arbres environnants, mais Donatien, bien trop envoûté par la femme, n'y prêta pas la moindre attention. Ni même à ces mouvements dans les eaux, depuis les berges Est et Ouest...
La belle recula pour enfoncer son pied droit, puis le gauche, les mollets, les cuisses dans l'onde impénétrable. Ses yeux verts semblaient comme éclairés, deux émeraudes tranchant dans l’ébène du lac, à peine piqueté des étoiles. Et les cheveux changeaient de teinte, ils n'étaient plus aussi bruns que la première fois, non, ils commençaient à tirer vers le roux. Puis la peau de la jeune femme, à mesure qu'elle s'éloignait, se faisait elle aussi de plus en plus pâle.
La fraîcheur de l'eau hérissait sa peau de porcelaine de milliers de frisson et dardait ses seins en poire. Donatien avait trop attendu, il ôta ses vêtements quand elle lui fit signe de le rejoindre et il se précipita dans l'Enelyan. Une fois contre elle, il l'embrassa tout son saoul, l'étreignit et ne reteint pas longtemps son envie de ne faire qu'un avec l'intrigante...
Ainsi, dans l'union de leur deux corps et dans un râle de plaisir adressé à l'astre lunaire, elle planta ses ongles dans son dos et l'entraîna avec elle dans les profondeurs du lac. Une fois au milieu des eaux, Donatien eu beau vouloir remonter, il lui était impossible de regagner la surface. Et là, dans le trouble de la vase soulevée du lac, il les vit toutes... Les sœurs de l'Enelyan, les sorcières, les créatures de l'eau. Au milieu la sienne, n'ayant plus rien de commun avec la femme qu'il venait d'embrasser à l'exception de la cicatrice sur la lèvre inférieure.
Le prince Donatien ne revint jamais à la ville, on pleura sa perte pendant plusieurs semaines puis son frère devint assez rapidement le nouvel héritier. D'autres hommes disparurent ainsi au fil des années, sans que vraiment on ne sache ce qu'ils pouvaient être devenus. Mais il est connu par tous les habitants du Domaine que des femmes monstrueuses, au visage de poisson, aux branchies puantes, et à la peau couverte d'écailles vivent dans les eaux du lac Enelyan et qu'elles noient tous les téméraires qui s'approchent un peu trop.
Ce que l'on sait moins c'est qu'elles sont capables de sortir des eaux du lac et de se donner l'apparence que leur proie désire... Aux yeux des autres elles sont aussi affreuses que de vieilles harpies mais pour celui qu'elles ont décidé de dévorer, elles sont aussi parfaites que si les dieux eux mêmes les avaient conçues.
©2018 Avelhia