top of page

Vous voilà devant les rangées des vieux livres de la bibliothèque de Jarthël et parmi tous ces anciens tomes poussiéreux l'un d'entre eux vous attire malgré vous. Vous en caressez la tranche, vous en effleurez les lettres, imprimées d'or sur une couverture d'un marron assez indéfinissable. Au loin la bibliothécaire ne semble pas lever le sourcil alors vous récupérez l'ouvrage et le posez devant vous. Sur l'avant une ville fortifiée est pressée dans le cuir, à flanc de falaise, et la mer semble cogner sur les rochers. Entre les pages de ce livre les archives d'Edmarian la glorieuse, Edmarian l'ancienne, Edmarian la majestueuse. Alors vous reviennent à l'esprit les mots de votre capitaine pendant le voyage, celui qui racontait pourquoi le navire passait les deux tours de la baie Éthérée plutôt de que faire cap au Sud sur la pointe de l'île du Domaine...

 

La ville d'Edmarian fut construite avant même qu'les oreilles pointues dans leurs cercueils d'pierre n'découvrent Héritage. Nous les humains, nous avions d'jà commencé à naviguer bien avant eux et nous avions découvert l'île qu'nous appelions le Domaine car nous l'avions faite notre ! Nous avions là, su' la pointe la plus au Sud, au passage des vents et des marées, sur les falaises escarpées, décidé d'construire une ville fortifiée pour guetter les passages. Edmarian était belle, puissante, imprenable !

Le commerce y a prospéré pendant des années. Les navires s'arrêtaient dans la Large-Crique pour y faire escale, et ils commerçaient avec les habitants d'Edmarian, denrées et richesses, comme j'vous dis. Puis les Solas se mirent à envahir Héritage, chasser les Nokks, et nous étions toujours là, bien en place sur nos murs en haut des falaises. Ils venaient vendre et s'renflouer chez nous, Edmarian était... La capitale commerciale de Méridian.

 

Sur la vitre de la bibliothèque des gouttes coulent et dans le lointain vous entendez le tonnerre qui gronde, la pluie qui tombe et surtout la luminosité dans la pièce poussiéreuse baisse. Vous vous approchez d'une bougie pour mieux lire les pages du livre mais... Vous ne comprenez pas cette langue. Les lettres sont allongées, la graphie inconnue, même pour vous plutôt savant et friand de lecture du monde entier. La jeune femme boudinée dans sa robe de laine vient jusqu'à vous, sa silhouette se découpant dans la pénombre lorsqu'un éclair tombe dans la rue. Le bruit de la pluie, ses pas furtifs vous ramènent aux ressacs lors de votre voyage. Et sa voix, douce et mielleuse vous sort de votre torpeur.

 

Je peux vous raconter la chute d'Edmarian voyageur, ce livre n'a finalement d’intéressant que sa  fin, le reste n'est que vantardise de l'auteur et pour beaucoup les choses qu'il rapporte sont fausses. Seulement sa fin elle, est plus que criante de vérité. Peu de livres rapportent la chute de la Glorieuse mais tous le font de la même façon. Souhaitez vous que je vous raconte ?

 

Rien ne vous oblige à écouter cette Ascundë aux cornes allongées, à la peau sombre et aux yeux jaunes. Mais son sourire vous invite à vous pencher sur l'ouvrage et à prêter l'oreille sur ce qu'elle a à vous raconter. Entre ses jambes un chat noir s'enroule et vous observe de son regard vert.

 

Les Humains vantent toujours les splendeurs d'Edmarian. Après tout, ils le peuvent, la ville était immense, plus de cinquante mille âmes résidant dans la cité et autant voire le double de voyageurs en fonction de la saison. Des remparts au pourtour, un château où vivait le Roi d'Edmarian, et une armée humaine qu'enviaient les autres cités des Royaumes. Et ils vivaient grandement des avantages de la proximité avec Abîmes. Une chasse prolifique, une culture trop facile, et des marchandises venant de tous les bords. Vous savez, Edmarian n'avait rien à envier à Jarthël à l'époque, et même si Jarthël n'existait pas encore, notre ville n'aurait jamais survécu en présence d'Edmarian. Heureusement que Shaarta offrait d'autres charmes que la cité des Hommes, sans quoi elle aurait disparu encore plus vite.

 

Pourtant la ville n'existe plus désormais. Et les légendes vont bon train sur les navires et surtout les témoignages humains ne sont pas fiables... Leur fierté les fait mentir, ils déforment la réalité pour qu'elle reste à leur avantage. Eux parlent d'usure, ou de catastrophe quand d'autres parlent de malédiction et de juste retour de bâton.

Edmarian était belle certes, puissante oui, et glorieuse ça... Mais Edmarian était aussi monstrueuse et violente. Les Humains ne vous l'ont sûrement pas dit. Edmarian ne vivait pas que de commerces d'épices et de bois, d'armes et de légumes, d'alcool et d'herbe à fumer non... Edmarian était un piège mortel pour bien des races.

 

Le chat entre les pieds de l'Ascundë s'étire en poussant un chuintement étrange et s'éloigne pour se lover contre l'âtre, la pluie à cessé mais une fraîcheur gagne la pièce. La jeune femme tourne les pages et ouvre devant vos yeux une illustration qu'elle effleure et dont elle dessine le contour du bout de ses doigts. Là, des Ascundës, vous en reconnaissez les cornes, mais c'est bien  la seule chose. Car ils sont ligotés à des hampes de pierre, visiblement lacérés, alors que d'autres à leurs pieds sont agenouillés et portent des fers.

 

Edmarian l'esclavagiste, Edmarian la tueuse, Edmarian la violeuse. Parce que pour Edmarian la vie d'un cornu, celle d'un oiseau ou d'un chat, ou d'une oreille un peu trop pointue ne vaut pas la splendeur humaine ! Sauf si bien sûr il peut payer la taxe... Là l'or rachète toutes les tares physiques de votre naissance. Mais la taxe... A mesure des années les habitants d'Edmarian, le roi de la cité-état devinrent de plus en plus gourmands. Si au départ cela était sain que de payer un droit de séjourner dans une ville sur une île, consommer ses ressources et profiter de son hospitalité, les générations devinrent trop avides et finirent par causer différents drames.

 

Pourtant ce n'est pas un désastre financier qui entraîna la chute d'Edmarian non... A force de traiter l'autre en esclave, massacrer ceux qui refusaient de se plier au joug Humain, asservir femmes, hommes et enfants, une Ascundë se dressa contre son Maître. C'est elle que l'on voit là.

 

Vos yeux tentent de regarder l'illustration sur les pages du livre mais vous ne vous souviendrez que du visage de la bibliothécaire qui incarnera désormais pour vous l'Oracle.

 

Elle le poignarda avant de se sauver en ville, courir sur les pavés d'Edmarian, presque nue, couverte par un simple jeté de lin beige. Et elle grimpa sur le toit de la cathédrale des Huits, symbole de la suprématie humaine sur la cité d'Edmarian. Une fois perchée en haut du fronton, pile au dessus de la représentation de Veleyn, elle hurla. « Maudits, maudits humains, soyez maudits. Que Naskostha vous dévore, vous inonde et vous détruise ». Puis... Elle se jeta dans le vide et son crâne se fracassa sur les pavés. Son sang glissa entre les pierres, sinuant jusqu'à une rigole pour couler, sans que personne ne fasse rien, jusqu'à la mer. Personne ne désira se préoccuper de ce corps inanimé, les Humains par désintérêt et les autres races par peur de représailles.

Alors la mer gonfla, la houle se densifia, l'orage au loin gronda. Une vague, immense, plus haute que trois fois les falaises, soit une bonne dizaine d'Académies, s'approcha d'Edmarian. La plus grande vague qu'il n'aie jamais existé sur Méridian. Et elle déferla sur Edmarian... Tous furent emportés, les navires fracassés, les remparts arrachés, les maisons dévorées. L'eau qui était le seul foyer des Ascundës venait de rendre justice aux opprimés, obéissant peut être aux vœux d'une femme perdue, se sacrifiant pour les libertés de son peuple.

Quelques âmes seulement survécurent, juste assez pour que cette histoire nous parvienne, mais plus jamais personne ne vécu à Edmarian. Les rescapés construisirent un navire et retournèrent sur le continent.

Et vous savez le plus ironique ? Notre déesse à nous les Ascundës nous offre la chance de renaître, vie après vie, mort après mort. Alors n'importe quelle Ascundë pourrait être la descendante de l'Oracle qui a maudit Edmarian la Glorieuse et l'a condamnée à disparaître.

 

Et sur ces mots la jeune femme vous offre un sourire, referme le livre et le repose sur l'étagère avant de vous inviter à sortir. En effet, il se fait tard et elle doit fermer boutique. Mais rien désormais ne vous arrachera de l'esprit que vous venez peut être de parler avec la réincarnation de l'Oracle d'Edmarian.

©2018 Avelhia

L'Oracle d'Edmarian

© 2018 Le Domaine par Avelhia

bottom of page